Ouverture des ferias de la San Fermin à Pampelune :
Plaza consistorial lors du txupinazo
Kermesse n.f. (flam. Kerkmisse, messe de l’église). Fête de charité en plein air. A ne pas confondre avec « kermès » qui est un médicament expectorant à base de sels d’antimoine; n’hésitez donc pas à dénoncer au curé le plus proche les individus qui osent avoir recours à ce médicament anticlérical. Par extension argotique socio-éthylique, la kermesse est synonyme de la fête. Il est vrai qu’on utilisera le plus souvent le terme de « bringue », plus connu et moins ambigu. Remarquons que la kermesse s’avère souvent peu charitable envers certaines parties de notre organisme. On peut également manquer d’air dans une kermesse, notamment au bar « Chez Alex » durant les fêtes de Bayonne. Dans ce cas, il est fortement recommandé de faire un stage de formation à l’apnée juste avant de fréquenter cet établissement. Il est également déconseillé de fumer quatre cigares en même temps dans ce bar, sauf si on est vraiment prêt à tout pour se donner des apparences viriles. Exemple : « l’autre soir je suis allé à une kermesse chez des collègues du boulot, ils m’ont agréablement surpris : il y en a pas mal qui picolent. »
Ferias de Céret 2003
Les fêtes existent depuis l’aube des temps dans tout les peuples de cette planète. Depuis que la mémoire des hommes est en marche et que les historiens et les archéologues fouillent, rien ne vient contredire ce constat.
Qu’elles prennent la forme de cérémonies sacrées à caractère religieux, païen, qu’elles soient civiles, politiques, ou nationales, Qu’elles soient folkloriques, galantes, ou liées aux rythmes de la nature, du cosmos, des activités de travail, etc. c’est toujours une même activité qui se manifeste sous de multiples visages.
Les illustrations proviennent du site des Beouets de Vic-Fezensac
La fête, c’est le moment où la communauté rompt avec le rythme des activités quotidiennes, et va justement abolir les règles qui régissent la vie quotidienne, une sorte de dérèglement à tout les sens du terme : abolition de certaines règles qui régissent ordinairement le groupe social, dérèglement des rythmes biologiques.
La fonction de la fête est le maintien de la santé des individus et du groupe social, tant mentale que physique. c’est comme si un thermostat était à l’oeuvre : les individus, dans leur vie quotidienne, sont obligés de respecter certaines règles de vie dans le groupe social, et certaines de ces règles sont radicalement en conflit avec les désirs de l’individu, sa quête du plaisir. Ce conflit créé une tension, une frustration qui peut s’avérer insupportable si elle dure.
Suzannes’s House Team 2004
De la même manière, les rythmes quotidiens (métro-boulot-dodo) créent une monotonie, voire une tristesse profonde chez l’individu. Les activités de travail créent aussi une usure, une fatigue, et si elles sont vécues en continu, l’individu peut y perdre sa motivation, son inspiration, sa santé ou même sa vie, en plus de la morosité dont nous venons de parler. Il y a les tensions extérieures, et les tensions intérieures. L’individu, tout simplement, peut souffrir de sa situation dans le monde, de sa condition, de sa place dans le grand organigramme avec son Dieu tout en haut de l’arbre, de ne pas pouvoir coucher avec la voisine de l’immeuble d’en face, etc. La fête a donc cette fonction de thermostat, de régulation, elle vient casser le rythme, faire exploser certaines règles. Elle est aussi la récompense naturelle du travail et le remède aux frustrations. Sans cette fête, l’individu et le groupe social risquent la destruction. L’individu, d’abord, pour tout ce que nous venons d’évoquer, et pour d’autres raisons. d’abord, l’individu est en groupe, il n’est pas seul dans la fête. Quand on dit que l’homme est un être social, la fête en est une parfaite illustration. On discute, on bouffonne, on paillardise, on se marre, on fait des raisonnements, on s’aime, on se déteste, on se bat, on s’embrasse et plus si affinités, on danse, on se roule par terre, tout en consommant à outrance, tous ensemble.
Le lecteur expérimenté de la chose sait que faire la bringue est le plus souvent très différent de se torcher la gueule tout seul. Je dis cela parce qu’il peut arriver, paradoxalement, qu’on se sente très seul dans la fête, et pire, j’ai la conviction de part ma modeste expérience que la fête est peut être l’endroit où l’on a la révélation de ce que peut être vraiment la solitude.
Plus généralement, la fête peut être le lieu où l’on comprend pleinement certaines choses, où les langues se délient pour le meilleur et pour le pire, où les rires succèdent aux sanglots, où l’on règle des comptes au sens très large, bref, le moment où vient éclater la vérité, et le problème, c’est que quelquefois ça éclabousse, tant la vérité peut être douloureuse.
Pour l’observateur averti de lui même et quelquefois des autres, on remarquera que la fête est un excellent baromètre pour savoir où on est dans sa vie et ses sentiments.
Photo
Les Beouets de Vic-Fezensac
Paradoxalement, encore une fois, la fête peut donc être la recherche du tout et la recherche du vide (un bouddhiste me dira peut être que le tout et le vide c’est la même chose, mais c’est un autre débat).
Quand je parle du vide, c’est en désignant un phénomène bien particulier : la plupart du temps, la musique, le bruit, la danse, la prise et le partage de substances qui altèrent le fonctionnement de l’organisme, conjugués à l’effet de groupe amènent à une sorte de transe, où l’individu n’est presque plus un individu, il est un et il est tout les autres en même temps, il arrive même qu’il oublie ses soucis, ces angoisses, et particulièrement ses angoisses existentielles, qu’il oublie même qui il est, et « qu’il est » (donc nous sommes), que le moment de la fête ne soit plus un instant, mais une atemporalité, un moment d’éternité furtive, un moment de plénitude, de presque béatitude (je vous certifie que je suis à jeun quand j’écris cela).
Un psychanalyste nous dirait sans doute que ce moment-là est celui où notre organisme se rapproche et se rappelle inconsciemment d’un état ressemblant à celui qu’on a vécu au début de notre existence : cet état c’est l’état de bonheur absolu, dont notre mémoire consciente n’a aucun souvenir, mais dont une partie de notre esprit, de notre corps et de nos cellules se rappellent : quand nous étions dans le ventre de notre maman, au chaud, dans la flotte, à l’abri des intempéries, avec en permanence un verre et une assiette qui s’appelaient placenta à l’époque.
Il m’arrive quelquefois de me regarder dans un miroir avec le verre à la main un soir de bringue particulièrement cosmique, et d’y voir un foetus avec un placenta. Mais je vous avoue que ça ne m’arrive Qu’en ayant bu du mezcal sans aucune modération.
Pour le groupe social, ensuite, la fête peut empêcher la destruction. La pression qu’exercent les règles sur l’individu, mais aussi le pouvoir des puissants dans une société hiérarchisée et même la souffrance qui peut être infligée au peuple risque d’amener celui-ci à se rebeller, se révolter.
Pour éviter cela, et que les puissants restent les puissants et le soient encore plus, il existe des stratégies politiques. d’abord les stratégies du type « diviser pour mieux régner », désespérément classiques, anciennes, et d’autant plus désespérantes parce qu’elles fonctionnaient à l’antiquité, et toujours aussi bien de nos jours en France et ailleurs (suivez mon regard ou allons boire un canon pour en discuter plus amplement).
La fête, elle aussi, peut être considérée d’une certaine manière comme une stratégie politique. Les empereurs romains qui étaient loin d’être cons l’avaient compris : quand le peuple commence à grogner et que menace la révolte, « panem et circences », donnez leur du pain et des jeux (du cirque), ce qui permet de déplacer l’agressivité en la canalisant vers le jeux et en faisant des cadeaux. Remarquez que les deux stratégies « panem et circences » et « diviser pour mieux régner » qui ont donc le même but, ont aussi des points communs dans leur fonctionnement : dans l’un comme dans l’autre l’agressivité des individus qui devrait être dirigée vers ceux qui les oppriment est déplacée vers une autre cible.
Dans le cas de « diviser pour mieux régner », l’agressivité est déplacée vers un ennemi intérieur ou extérieur virtualisé, stratégie courante excitant la paranoïa collective jusque dans nos soi-disantes démocraties, prenant des formes les plus grotesques dans les thèses de certains groupes ou partis politiques et dans la surmédiatisation de faits divers.
Dans le cas de « panem et circences », l’agressivité va être déplacée dans les jeux, on va calmer cette agressivité au spectacle de combats, ou en dirigeant l’agressivité sur l’adversaire dans le cas du supporter sportif. Dans la fête, le défoulement et l’ivresse inhérent à celle-ci calmera l’agressivité de l’individu.
Le « panem et circences » existe toujours, et a même pris des proportions industrielles, sous la forme « de la binouze, du tiercé, et du foot ».
Petite remarque : ne négligeons pas la dimension économique des activités festives, qui représente une manne considérable, notamment pour l’industrie des boissons alcoolisées.
L’homme pouvant être considéré comme un paradoxe sur pattes, on remarquera tout de même que les activités festives nécessaires à la santé de l’individu et du groupe social peuvent conduire l’individu et le groupe à la destruction.
On peut même penser que le déclin de certaines civilisations est lié à l’abus de ces activités, sans arrière pensée moraliste, vous en conviendrez : votre serviteur, vous l’aurez compris, est très loin d’être hostile à la fête.
Un panneau de la célèbre
peña de festayre gersois
la Comax Ethylix
La fête vient casser le rythme, mais elle est elle-même rythmée, ritualisée. Car elle se répète à des moments prédéterminés, telle la fête des vendanges ou des moissons qui viennent marquer la fin d’une activité saisonnière avant de passer à une autre période. Certaines fêtes correspondent à une date précise par rapport aux rythmes naturels au sens large (solstices, par exemple, fin de la saison froide, floraison d’une plante…), eanniversaire lié à un événement historique ou religieux, anniversaire d’un individu, etc…
La fête est un événement sacré, elle peut être même le pilier central d’une culture. Ainsi, au Brésil, des individus ont leur vie réglée sur le carnaval de Rio : on travaille, on va vivre de façon modeste et l’argent qu’on aura économisé dans l’année sera totalement dépensé durant les quinze jours du carnaval. Et quand le carnaval sera fini, on reprendra sa vie quotidienne en n’attendant qu’une chose : le prochain carnaval.